C’est déjà l’heure du dernier article de ma série italienne de l’Avent… Je suis contente d’avoir partagé avec vous quelques beaux souvenirs de mes pérégrinations en Italie, dans des lieux qui je crois ne figurent pas parmi les spots les plus connus. Ce dernier article ressemble plus à une page de journal intime qu’à un billet de blog touristique… mais l’Italie est toujours pleine de surprises et sait toujours me mettre à l’épreuve, ça fait aussi partie du voyage !! Bonne lecture et très belles fêtes !
Chaque séjour en Irpinia – cette province de l’arrière-pays napolitain me réserve son lot d’émotions, de micro-aventures improvisées, de rencontres inoubliables. Après un hiver passé à Bisaccia, pour ma thèse, je décide de revenir pour l’été 2018 dans la région. Dans l’un des villages que j’étudiais, Cairano, se tenait alors une masterclass de théâtre, organisée sous l’égide et sous l’impulsion de Franco Dragone, chorégraphe de renommée mondiale. J’avais analysé pour ma thèse la réhabilitation de plusieurs bâtiments de ce village, je voulais voir comment ils allaient être occupés.
Retour à Cairano
Cairano est un petit village d’environ 300 habitants, un village « cul-de-sac » où l’on ne passe que si l’on a quelqu’un ou quelque chose à voir. Sa silhouette, sur le haut d’une falaise, la rupe (dont je vous avais parlé ici), se voit de loin. Certains disent que ça ressemble au dos d’une baleine. La commune se dépeuple mais, depuis la fin des années 2000, son équipe municipale et quelques architectes essaient d’inverser la tendance. L’immense Franco Dragone, originaire d’ici même s’il vivait en Belgique, s’est joint à l’aventure, avec le projet d’ouvrir ici une école des métiers du théâtre, dans plusieurs espaces du village réhabilités. C’est vrai que le lieu est propice à la rêverie, à la création. Une grande quiétude, de larges vues sur le paysage, une beauté naturelle émanant des petites maisons et des ruelles fleuries… l’idée fait son chemin. Réhabilitation après réhabilitation, les installations sont finalement inaugurées ce 3 septembre 2018, en présence du chorégraphe et d’une première « promotion » d’élèves qui assistera à une session de formation de 15 jours. On trouve, disséminés dans le village, une salle avec un praticable au sol, l’ancienne école transformée en salles de conférence et de classe, et surtout, un beau théâtre de plein air, avec vue sur le grand paysage.
Après une première matinée introductive, à midi, direction la via delle grotte, où avaient été disposées de grandes tables avec des nappes blanches, et où nous avons probablement dû (je ne me souviens pas à 100%) déguster les fameuses cannazze de Calitri, un plat de pâtes en sauce tomate typique du village voisin. Cette « rue des grottes » ou « rue des caves » s’appelle ainsi pour l’enchaînement de petites constructions en pierre, semi-troglodytes, orientées vers le nord, où les habitants autrefois stockaient leurs récoltes et notamment le vin qu’ils fabriquaient. Le cadre est enchanteur, la convivialité est de mise. Franco Dragone me reconnaît (je l’avais interviewé quelques mois avant), il se lève pour venir me saluer, je me sens honorée !
Un cours de récitation en napolitain
L’après-midi commencent les choses sérieuses. Pour cette masterclass, deux parcours étaient proposés : l’un pour les professionnels du théâtre et de la danse, l’autre pour les amateurs, curieux de découvrir davantage cet univers et de se former. Je suis le parcours amateur pour ce premier jour. J’étais venue pour observer seulement, mais le formateur de l’après-midi, le comédien napolitain Ernesto Lama, me propose de quand même participer. Je joue le jeu… et c’est parti pour 3h de cours de récitation… en napolitain !
Je n’ai jamais fait de théâtre, pas plus que je ne parle napolitain, mais après tout, qu’est-ce que j’ai à perdre ? Je me mêle aux participants. On nous fait marcher dans la pièce, et déclamer quelques phrases en napolitain. Il faut y mettre le ton, la manière. Certains sont plus doués que d’autres, moi, je suis carrément nulle, mais peu importe, Ernesto Lama crie sur tout le monde ! Il joue au professeur dur, intransigeant. Je pensais que ce serait marrant, mais c’est en fait un exercice difficile. Le comédien nous pousse à nous dépasser, à nous concentrer pour donner le meilleur de nous. Pas de doute, je suis encore une fois en pleine immersion dans mon terrain d’études, même si j’étais plutôt venue pour les vacances !
Jour 2 : expression corporelle et traduction improvisée !
Le lendemain matin, rebelote. Retour à Cairano le matin. Je croise quelques minibus qui viennent déposer les participants, qui ne sont pas logés sur place (il y a peu d’hébergements) mais répartis dans quelques B&B du territoire. Je prends un café au bar Mary, en bas du village, là où je laisse ma voiture quand je viens dans ce village et cette fois, je rejoins le groupe des professionnels, qui a un cours d’expression corporelle avec Lassaâd Saïdi, professeur de théâtre et lui-même fondateur d’une école en Belgique. Cette fois, je ne me suis pas mêlée aux élèves. Pour autant, la matinée n’en fut pas moins mouvementée… l’Italie est toujours pleine de surprise !
Lassaâd Saïdi est belge, il ne parle pas vraiment italien mais il s’y essaie. Il est accompagné de sa femme, qui observe aussi le cours. Nous sommes toutes les deux au fond de la pièce. Très gentiment, au début du cours, je propose au professeur de traduire éventuellement ses propos, puisque je parle les deux langues. Il décline ma proposition, me disant que son cours d’expression corporelle peut se passer de mots, et qu’il va bien réussir à se faire comprendre.
Sa femme en est moins convaincue, mais elle ne dit rien. Toutefois, le langage du corps ne suffit pas toujours et je finis quand même par me retrouver à traduire quelques passages. Sauf que c’est un artiste, qui s’exprime par métaphore, par image abstraite, par concept artistique… Avant de traduire en italien, il faut déjà que j’en comprenne moi-même le sens en français !
Je m’amuse beaucoup ! Le professeur et les élèves perçoivent ma détresse à comprendre certains termes, et l’on rigole tous ensemble. J’observe aussi ce qui est enseigné. Avec un masque neutre sur le visage, les élèves doivent quand même exprimer des sentiments, des attitudes, seulement par leur manière de marcher, la façon dont leurs muscles sont ou non relâchés, l’attitude de leurs mains aussi. Le maestro est moins virulent que celui de la veille, même s’il fait recommencer encore et encore certains participants, jusqu’à obtenir ce qu’il attend. Je comprends que marcher sur une scène, quand on est acteur ou danseur, est un des exercices les plus fondamentaux et en même temps les plus difficiles, même s’il paraît d’une grande banalité quand on le voit depuis les tribunes, en simple spectateur non averti.
Je quitte Cairano à midi, non sans un dernier petit tour dans le centre historique en passant par la falaise, d’où la vue est imprenable. Je laisse derrière moi les élèves et les enseignants continuer leur parcours dans ce cadre enchanteur. Désormais, ils connaîtront eux aussi ce petit bout de monde et pourront en être les ambassadeurs partout ailleurs en Italie !
Un jour, un campus à Cairano ?
Franco Dragone nous a malheureusement quitté le 30 septembre 2022, alors que son école des métiers du théâtre était encore en construction (pas physiquement, mais dans la programmation). Ce projet, qui suscitait tellement d’espoirs, pour la population comme pour les acteurs impliqués, s’est alors arrêté, ou du moins, semble être en stand-by pour le moment… Mais après avoir vécu cette expérience, et vu ces lieux réhabilités pour accueillir un tel projet, je me dis que ça ne peut pas être juste fini… J’espère plus que tout que ce projet pourra, d’une façon ou d’une autre, se poursuivre dans les pas de Franco et de tous ceux qui ont participé à ses prémisses. A cette masterclass, j’ai vu aussi beaucoup de villageois s’affairer pour rendre l’expérience de chacun unique… ils méritent que leurs espoirs ne soient pas, une fois de plus, déçus.
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