L’Irpinia, le visage rural de la Campanie

La Campanie est une région italienne qui a su depuis longtemps gagner le cœur des voyageurs. Les sites archéologiques majeurs comme Pompei, Herculanum ou encore Paestum, les paysages enchanteurs de la côte amalfitaine et de Capri, sans oublier la métropole envoûtante de Naples, il y a de quoi s’émerveiller à chaque coin de rue. Toutefois, la « face B » de cette région reste largement méconnue, alors pourtant qu’elle n’est pas en reste pour ce qui est du patrimoine et des paysages ! Tout en contraste avec la métropole napolitaine, laissez-vous guider aujourd’hui à la découverte de la verte Irpinia, vous pourriez être agréablement surpris.

L’Irpinia, c’est l’autre nom de la Province d’Avellino, l’une des deux provinces non côtières de la région Campanie. C’est un territoire qui se dépeuple, et où manque globalement des opportunités pour les jeunes, qualifiés ou non, qui se résignent alors à émigrer. J’ai eu la chance de découvrir cette province dans le cadre de mon Erasmus puis de ma thèse, d’explorer ses villages, de rencontrer les personnes qui essaient de créer les conditions pour un nouveau développement économique du territoire, touristique notamment. Je vous propose de me suivre à la découverte de quelques-uns de mes lieux préférés, mes rendez-vous incontournables à chaque fois que j’y retourne.

Admirer le soleil couchant depuis la falaise de Cairano

Bel et moi, en février 2018 à Cairano !

Pour être tout à fait honnête, je suis toujours arrivée quelques minutes trop tard ou clairement trop tôt pour l’admirer, mais quel que soit le moment de la journée où l’on y passe, c’est un lieu qui appelle le silence et l’introspection, qui invite à s’arrêter et à contempler l’immensité qui s’étend sous nos yeux.  De loin, le village de Cairano semble perché sur le dos d’une baleine. Après une série de virages en épingle, on arrive aux premières rues du village et il faut ensuite grimper, plutôt à pied cette fois, pour atteindre le panorama. Je ne prends jamais le bon chemin du premier coup, alors n’hésitez pas à demander de l’aide aux quelques habitants que vous pourrez croiser en chemin (demander la rupe – prononcée « roupè ») ! Sinon, suivez votre instinct, Cairano n’est pas une métropole, vous finirez par y arriver tôt ou tard.

Et si un gros chien blanc s’approche de vous, n’ayez crainte, il s’agit de Bel, le chien du village dont la légende dit qu’il est arrivé un jour là par hasard et qu’il a été adopté par le village tout entier. C’est d’ailleurs le premier guide touristique du village, il accompagne souvent les visiteurs en échange de quelques caresses !  Une fois au sommet, on a l’impression d’être un oiseau en plein vol, et toute la vallée de l’Ofanto se déroule sous nos pieds: le lac de Conza, les ruines de Compsa, des champs de blé et encore des champs de blés, quelques petites fermes dispersées, les monts Picentini sur le fond. On voit même les premiers villages de la Basilicate, car la frontière régionale n’est qu’à quelques kilomètres. Un passage à chaque saison est de rigueur pour observer les collines changer de couleurs et de lumières : le tableau de la Nature en perpétuelle évolution ! 

Contemplative … en haut de la « rupe » !

Déguster du bon vin en écoutant des histoires de famille

Je ne repars jamais d’Irpinia sans quelques victuailles, en particulier du vin ! L’Irpinia compte en effet trois vins DOCG – Dénomination d’Origine Contrôlée et Garantie, un équivalent ++ de l’AOC français : les blancs Greco di Tufo et Fiano di Avellino, le rouge Taurasì, qui porte justement les noms de trois communes à partir desquelles, peut-être, commencer votre tour des caves locales ! Je me souviens avec émotion que lors de ma toute première visite en Irpinia, j’avais eu l’occasion de visiter la cantina Caggiano, justement à Taurasì. On descend au sous-sol dans une sorte d’antre mystérieuse, avec ses objets de décorations bricolés à partir de tonneaux ou de bouteilles – un vrai petit musée ! Le parcours est aussi rythmé de photographies du père, Antonio Caggiano, fondateur de l’entreprise, qui a voyagé dans le monde entier. 

À gauche, la cave Caggiano à Taurasi et à droite, la cave Cavalier Pepe.

Mais mes deux caves de cœur sont celles de Gianni (Azienda Agricola Fiorentino) et de Milena (Tenuta Cavalier Pepe). Gianni a décidé de reprendre le vignoble familial après un début de carrière dans la fonction publique, sa gamme s’agrandit progressivement au fil de ses expérimentations et les noms de ses vins sont toujours liées à des histoires de famille – comme le Celsì, en référence à la ville américaine de Chelsea où avait émigré son père, mais écrit “à l’italienne”. Milena, quant à elle, est italo-belge ; elle est venue reprendre les rênes de l’entreprise familiale après avoir grandi en Belgique et étudié le vin en France. Deux personnes passionnées et passionnantes, qui aiment profondément leur territoire et essaient, à leur échelle, de le rendre meilleur.

randonner dans le partenio à la recherche de l’arbre-puits

A défaut d’y avoir la mer (elle n’est quand même pas très loin), il y a bien la montagne ici. La Province d’Avellino enjambe les Apennins méridionaux, on trouve donc deux principaux massifs à l’ouest du territoire : le Partenio et le Terminio-Cervialto.  Je me souviens d’une randonnée automnale dans les monts Partenio, accompagnée par un groupe de marcheurs qui organisent périodiquement les “invasions irpines”, des journées pour redécouvrir certains lieux remarquables d’Irpinia. 

Le parcours ne fait que quelques kilomètres, mais le dénivelé est rude. Heureusement, les discussions nous ont permis de dépasser cette difficulté et surtout, nous avons rempli nos poches des châtaignes qui étaient tombées au sol, à profusion ! Après deux heures de cueillette et de forcing sur les cuisses et mollets, l’objectif était atteint, et nous sommes arrivés dans ce qu’il restait d’un village de moines camaldules du XVIe siècle. Le site a été restauré ; on y voit donc clairement l’emplacement des habitations et de leurs petits jardins, tracés au cordeau (photo de gauche ci-dessus) ! Il reste aussi un grand pan de murs d’une église, dont on reconnaît des arches. Au milieu d’une épaisse forêt, on comprend que le site était propice à la retraite spirituelle et à une vie retirée de la société. Non loin de là se situe l’arbre-puits (un arbre dont j’ai oublié l’essence, et Google a décidé de ne pas m’aider – photo de droite) et dont les racines, en partie à flanc de rocher, créent une petite grotte où ruisselle un peu d’eau. Un lieu qui semble hors du temps, dans une forêt qui déjà vous fait perdre tous vos repères avec ses arbres fins et très hauts, presque vertigineux. 

manger du caciocavallo impiccato à une fête villageoise

Un des meilleurs moyens pour se plonger dans les coutumes locales est de participer à une fête villageoise. Festivités en l’honneur du Saint Patron ou dédiées à certains produits typiques, elles sont des moments de grande joie collective. Alors que les villages sont peu peuplés et les rues souvent désertes, je suis toujours surprise de voir le nombre de personnes réunies sur les places à ces occasions ! Pour certains grandes fêtes, comme le Carnaval de Montemarano ou la Fête de la Châtaigne à Montella, on peut même s’y rendre dans un train qui parcourt la ligne historique entre Avellino et Rocchetta Sant’Antonio, dans les Pouilles, fermée en 2010 mais réactivée ponctuellement lors des festivités. L’occasion de rencontrer et papoter avec des habitants nostalgiques du temps où la locomotive sifflait plusieurs fois par jour, et des personnes engagées, passionnées, à l’image de l’ancien cheminot Pietro, toujours en première ligne pour défendre le transport ferré et les richesses paysagères de l’Irpinia. 

À gauche, une partie du défilé du Carnaval de Montemarano, février 2018 / à droite, chargement de caciocavallo, Calitri, 2018.

Il y a deux choses que j’aime particulièrement dans ces fêtes. La première, c’est la tarantella, une danse traditionnelle et sa musique répétitive et entraînante. Je n’ai jamais appris à la danser alors je me contente de regarder sagement, mais c’est toujours un peu frustrant car le rythme est si joyeux et festif qu’il vous donne vraiment envie de vous lancer parmi la foule des danseurs. La deuxième, et non la moindre, ce sont toutes les choses délicieuses que l’on peut déguster dans ces fêtes, avec, tout en haut du classement, le caciocavallo impiccato. C’est un fromage à la forme particulière, comme une poire, suspendu par le haut au-dessus d’un feu : il fond et il peut alors se tartiner sur une grande tranche de pain… j’en salive rien qu’à vous le raconter !! N’oublions pas non plus les châtaignes grillées, incontournables des festivités d’automne. Je garde aussi un très bon souvenir gustatif de l’ucciolo, un petit pain rond cuit au feu de bois et farci de charcuteries et de fromage. Une fête lui est dédiée dans le village de Castelvetere-sul-Calore en juillet.

Originally tweeted by Lucie Boissenin (@LucieBoissenin) on 7 juillet 2019.

SE PERDRE DANS LES RUELLES D’UN BOURG MÉDIÉVAL

Enfin, puisqu’avant tout, je suis venue ici pour étudier des projets d’architecture, il me faut vous dire que l’Irpinia est surtout une province de villages. Le chef-lieu Avellino compte environ 40 000 habitants, et Ariano Irpino 20 000, mais tous les autres communes (116) ont moins de 10 000 habitants, la plupart même en-dessous de 5 000 ! Je ne peux que vous conseiller de pointer du doigt sur la carte les noms qui vous inspirent et de vous y rendre, vous serez rarement déçu. Malgré des séismes dévastateurs au fil des siècles (dont 4 au XXe siècle !), la plupart des communes conservent un centre historique aux ruelles serrées et aux maisons partiellement en ruines. Je suis très attachée à Bisaccia (photo de gauche ci-dessous), qui est le village dans lequel j’ai habité pendant six mois, avec son château, ses églises et sa place qui offre un panorama dégagé sur les Pouilles. Mais j’ai aussi plusieurs autres coups de coeur : Taurasì, dont je vous ai déjà parlé, pour son plan en arêtes de poisson ; Gesualdo et Monteverde, avec leurs imposants châteaux au sommet ; Calitri (photo de droite) appelée la « Positano d’Irpinia » pour ses maisons qui semblent imbriquées les uns sur les autres ; Castelvetere-sul-Calore (photo de couverture) dont une partie du bourg a été transformée en un albergo diffuso : un hôtel dont les chambres et services sont dispersés dans la partie ancienne d’un village.

Bisaccia, Calitri et le château de Taurasi

Il faut aussi oser pousser la porte des châteaux et des petits musées, souvent gérés et entretenus bénévolement par des jeunes du village. Ceux-ci connaissent l’histoire locale sur le bout des doigts et c’est toujours une belle occasion d’en apprendre un peu plus sur les aventures mouvementées de cette terre qui a vu passer bon nombre de conflits, d’invasions et de brigands ! Coup de cœur pour le musée de la céramique à Ariano Irpino et le musée ethnographique d’Aquilonia.

Et revenir vite…

Tout en ayant pleinement conscience des difficultés de ce territoire, j’aime profondément l’Irpinia et j’ai toujours hâte d’y retourner. Alors, dès que ma petite voiture rouge quitte la Province, je pense déjà au prochain voyage ! Si je vous ai aussi donné envie d’y aller, n’hésitez pas à me contacter. Il n’est pas toujours aisé de trouver des informations en ligne sur cette Province, surtout en français ou en anglais, ce qui doit décourager plus d’un visiteur potentiel. De mon côté, je pourrai vous donner des informations pratiques et précises, ainsi que des bonnes adresses où manger et dormir, alors je vous le redis, N’HÉSITEZ PAS ! Ça me fera plus que plaisir 😉

Une nuit d’hiver à Rocca San Felice (2017)

Vous connaissiez l’Irpinia ? Est-ce que ça vous tente ?

P.S : Cet article se veut introductif et sera complété par une série d’articles sur l’Irpinia qui me permettront d’approfondir ses différentes facettes… n’hésitez pas à commenter pour me dire sur quels sujets vous voudriez en savoir plus !

13 réponses à « L’Irpinia, le visage rural de la Campanie »

  1. Bravissima! Depuis le temps qu’on te suit et qu’on entend parler de cette partie de la Campanie, on est contentes d’en lire plus 🙌 Bravo pour ce joli blog, on lira avec grands plaisir tes autres découvertes !
    Amélie & Laura

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    1. Merci 🙂 eh oui, il est temps que les Français découvrent l’Irpinia !! haha

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  2. Très très chouette découverte de l’Irpina, j’ai h^^ate de te suivre dans d’autres articles sur la région ! Et auguroni per il nuovo blog !!!

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    1. Grazie 🙂 Oui, je vais vite m’atteler à l’écriture des prochains articles !!

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  3. Bienvenue dans la blogosphère ! J’adore l’idée de mettre en avant des destinations oubliées, et on commence fort avec cette région méconnue de Campanie. C’est drôle parce qu’avant le premier confinement, je me suis dit que mes prochains buts de voyages seraient de choisir la région la moins visitée d’Italie et de découvrir au gré du vent !

    Aimé par 1 personne

    1. Haha là je pense qu’on est pas loin de la destination la moins visitée d’Italie avec l’Irpinia… la Province de Benevento, juste à côté, c’est un peu le même combat d’ailleurs. Merci pour ton commentaire 🙂

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  4. Irpinia m’émeut toujours et je remarque, en effet je sais, qu’elle te fait le même effet. Tu peux rendre la poésie qui traverse ces lieux avec la force évocatrice de ton langage.
    Il est vrai qu’il s’agit souvent d’endroits peu fréquentés et connus, mais c’est précisément en cela, je pense, que réside leur plus grande bénédiction.

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    1. Merci Lucia 😀
      (il francese perfetto !! Brava!)

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  5. […] et je mets mes mains dans mes poches ; l’hiver pointe déjà le bout de son nez en haute Irpinia. Pourtant, je ne louperais ce moment pour rien au monde. Aujourd’hui, le train qui n’a pas […]

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  6. […] pas et d’avoir la chance d’apprendre à le connaître, comme j’avais fait avec l’Irpinia quelques années plus tôt. A grands coups de CV envoyés aux quatre coins de l’Hexagone, voilà […]

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  7. […] pas de leur porte et vous regarderont peut-être d’un œil curieux (on se croirait presque dans les villages reculés d’Italie ! […]

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  8. […] la Province d’Avellino (ou Irpinia, petit coin d’Italie du sud dont je vous ai parlé déjà ici et là), qui voyait ainsi pour la première fois, le fameux drapeau orange récompenser le travail […]

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  9. […] à la frontière avec les Pouilles et la Campanie. Déjà au détour de certaines routes d’Irpinia, j’avais remarqué cette montagne en dents de scie, qui trônait fièrement au loin, et je savais […]

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