Argelès-sur-mer 1939-1942 : un camp sur la plage

Sous les palmiers, l’histoire !

Cet article est le premier d’une série que j’ai nommée « Sous les palmiers, l’histoire ! » et qui a pour but de faire découvrir des facettes moins connues de certaines stations balnéaires du sud de la France (et ailleurs éventuellement). On commence par Argelès-sur-Mer, petite ville côtière des Pyrénées-Orientales, eldorado des retraités en quête de soleil… Pourtant, la vie n’a pas toujours été rose par ici, la ville ayant accueilli un camp de réfugiés espagnols, fuyant le régime franquiste, qui vivaient dans des conditions tout à fait inhumaines.

Marcher sur la plage, aujourd’hui

22 avril 2023. J’enlève mes baskets, puis mes chaussettes, et je fais quelques pas pieds nus dans le sable. La mer, agitée, me fait face. Elle est à quelques centaines de mètres de moi. D’habitude, ces moments de retrouvailles avec la mer, au printemps ou à l’été, sont des moments de grande joie. Tous mes sens sont en alerte et une grande sérénité me remplit.

2 pieds dans le sable
Mes pieds dans le sable

Mais ce matin, je ne peux ôter de mon esprit tout ce que je viens d’apprendre sur cette plage. Dans quelques mois, elle se remplira d’une foule heureuse d’être libérée des contraintes du quotidien, d’enfants rieurs, de jeunes et de vieux insouciants, de parents qui essaient de souffler tout en gardant un œil sur leurs progénitures. On mangera des glaces, des cocktails, on prendra des selfies et on criera en entrant dans l’eau fraîche. 

Combien d’entre nous sauront que cette plage a en fait été le témoin, que dis-je, le terreau même, d’une histoire bien sombre ? Qu’elle a été l’enfer de centaines de milliers de personnes, parquées dans des baraquements, entre 1939 et 1942 ? Là où je pose mes pieds, à quelques dizaines de mètres du Monolithe commémoratif se trouvait l’entrée nord d’un camp d’internement…

Un camp de réfugiés sur la plage

Je sors du Mémorial du Camp d’Argelès-sur-Mer, un petit musée installé au cœur du bourg historique d’Argelès, à quelques kilomètres du bord de mer. Avez-vous déjà entendu parler de « la Retirada » ? La première quinzaine de février 1939, près de 300 000 réfugiés espagnols passent la frontière ; ils fuient le régime franquiste, qui gagne du terrain en Espagne et arrive progressivement en Catalogne, l’un des derniers bastions de résistance républicaine. Pour rappel, à cette époque, la guerre civile fait rage en Espagne et oppose les défenseurs de la République (républicains) aux disciples du Général Francisco Franco, nationaliste conservateur, « ami » de Mussolini et d’Hitler, qui souhaite instaurer une dictature. Cet exode massif vers la France est appelé « La Retirada ». 

façade de maison ancienne, entrée de musée
Le Mémorial du Camp

Or, ces réfugiés arrivent dans un pays qui se méfie aussi des « étrangers », surtout ceux que la propagande menée par Franco a présentés comme de dangereux rebelles communistes. En France, suite à la crise économique, le ton s’est durci vis-à-vis des étrangers, qui sont fortement surveillés, à tel point qu’on envisage la construction de camps, appelés alors « camps de concentration », pour les réunir et les contrôler. 

Ainsi, avant même l’épisode de la Retirada, on envisage la construction d’un tel camp à Argelès-sur-Mer. Toutefois, rien n’est prêt lorsque l’exode massif survient et on répartit les réfugiés espagnols entre plusieurs camps, dans plusieurs villes du sud. A Argelès, ils se retrouveront, en plein hiver, enfermés entre des barbelés et la mer, sans eau, sans nourriture et sans abri. 

camions de pain
« Les camions de pain destinés aux réfugiés », 1939, Archives Départementales des Pyrénées-Orientales, fonds Chauvin, côte 27FI245

Petit à petit, la construction du camp s’organise, mettant à contribution les réfugiés. Des tentes de fortune, puis du bois pour construire des baraques, arrivent. Des camions de pain viennent ravitailler le camp ; mais la mort de réfugiés est fréquente tant les conditions de vie y sont extrêmes. On est dans le sud, mais ne vous y trompez pas, l’hiver est rude. Sur les plages d’Argelès, souffle un vent cinglant, la tramontane.

Le camp d’Argelès pendant la 2ème guerre mondiale

A l’été 1939, le camp est vidé, les « camps de concentration » n’ayant pour vocation que d’être des lieux de transits, avant que les réfugiés soient placés dans d’autres camps. Mais il rouvre bien vite car la guerre éclate en septembre et il faut de nouveau mettre sous surveillance un certain nombre de personnes : certains réfugiés espagnols arrivent à Argelès-sur-Mer pour la 2ème fois, y sont envoyés également des opposants politiques, des juifs, des gitans. 

Le camp est alors mieux organisé qu’à l’arrivée des réfugiés de la Retirada, il y a des baraquements, mais les conditions de vie restent très difficiles. Le camp des hommes est séparé de celui des femmes et des enfants. Le dimanche seulement, ils peuvent se voir, tout en restant séparés par les barbelés.

dessin, un père à genoux et sa petite fille, de l'autre côté d'un barbelé
« Un père et sa fille » Archives Départementales des Pyrénées Orientales, fonds Miro (1940-1941), côte 31FI37.

On peut entendre des témoignages de personnes ayant vécu dans le camp d’Argelès, dans un documentaire de 50 minutes, projeté au Mémorial. Sur le site web du Mémorial, ainsi que sur le site des Archives Départementales des Pyrénées-Orientales, on peut également voir des photos, et des dessins faits par les réfugiés. Ces témoignages, oraux et graphiques, nous permettent d’entrevoir, sinon de comprendre, le quotidien de ces personnes, parquées ici pendant de longues années. 

Une micro-société s’organise alors à l’intérieur du camp. Il faut bien s’occuper et vivre. Certains hommes sont envoyés dans les Compagnies de Travailleurs Étrangers. A l’intérieur du camp, on s’organise pour faire la classe pour les enfants, on joue aux échecs, on joue de la musique avec les instruments qu’on est parvenu à apporter jusqu’ici. De petits « commerces » ou services voient le jour : le barbier, la couturière…

Les organisations humanitaires aident les réfugiés, portant secours et assistance, notamment aux blessés, aux femmes enceintes, aux bébés et aux enfants.

(Dessins issus des AD66 : les musiciens, la classe, le barbier – Carrousel)

  • dessin, enfants assis autour d'une maîtresse faisant la classe dehors
  • dessin, 3 personnes en train de coudre dans une baraque
  • dessins, 2 musiciens de dos, 2 de face dont un avec une guitare, un violoniste debout

Dès 1941, le camp d’Argelès est appelé « Centre d’Hébergement », il compte près de 15 000 « hébergés », qui seront peu à peu répartis sur d’autres sites. En 1942, le camp devient un « Chantier de la Jeunesse Française », qui accueille les jeunes de la zone libre et de l’Afrique du Nord venant y effectuer l’équivalent d’un service militaire (celui-ci ayant été aboli le 22 juin 1940 lors de l’armistice) moins porté sur la défense et davantage sur la réalisation de travaux d’intérêt général. 

Le camp fermera définitivement ses portes à la fin de l’année 1942, lorsque l’état-major allemand ordonnera à l’armée française d’évacuer le littoral, sur 40 kilomètres. Petit à petit, la plage reprendra ses droits et redeviendra cette longue étendue de sable sur laquelle nous marchons aujourd’hui, les vents emportant toute trace de ce que fut le camp d’Argelès…

En savoir plus ?

Si lors de votre passage dans les Pyrénées-Orientales, vous êtes curieux et souhaitez en savoir plus sur l’histoire du Camp d’Argelès, voici les lieux qui peuvent vous intéresser :

  • La visite du Mémorial, situé 26 avenue de la Libération. L’entrée est à 2 euros ; compter 1h – 1h30, le temps de voir le film et de visiter les différentes salles d’exposition. Le site web du Mémorial est également très fourni, il m’a notamment aidé pour les infos précises contenues dans cet article !
  • Le Monolithe, situé au niveau du 60 boulevard de la mer, à l’entrée de la plage. Une stèle inaugurée en 2004, en mémoire du camp et des internés.
  • La Plage de la Marende, qui correspondait à l’époque à l’entrée nord du camp. En entrant sur le parking, sur votre droite, une plaque discrète relate l’histoire du site. Des fleurs y sont déposées.
  • Le Cimetière Espagnol, avenue de la Retirada 1939 : un espace arboré de recueillement, en mémoire des Espagnols, civils ou militaires, décédés dans le camp d’Argelès.
plage déserte, d'hiver, un cabanon et des parasols fixes
La Plage de la Marende, où le camp n’est plus qu’un lointain souvenir…

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